Les troubles bipolaires sont des troubles de l’humeur sévères et chroniques définis par des variations extrêmes de l’état émotionnel (épisodes thymiques), un déséquilibre de l’humeur avec des épisodes de dépression ou d’excitation, et des périodes variables de normothymie (stabilité des émotions). Ils entraînent une dégradation du fonctionnement général et de la qualité de vie. Les troubles bipolaires ont des effets très délétères sur la vie du patient : désinsertion professionnelle, retentissements sur la vie personnelle… Cette maladie augmente également le risque de suicide : un patient sur deux fera au moins une tentative de suicide dans sa vie et au moins un patient sur dix non traité décédera par suicide selon la HAS. La maladie peut prendre diverses formes suivant les différents symptômes rencontrés, leur intensité et l’âge de leur survenue. Ainsi, les adolescents n’ont pas forcément des symptômes analogues aux adultes : décrochage scolaire, conduites à risque, excitabilité font par exemple partie des éléments à surveiller. Le trouble bipolaire partage plusieurs symptômes avec le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez l’adulte.
➠ Physiologie
➥ Alternance d’épisodes dépressifs et de périodes d’exaltation
Les troubles bipolaires, anciennement appelés « maladie maniaco-dépressive », se manifestent le plus souvent par l’alternance d’épisodes dépressifs et de périodes d’exaltation, les « phases maniaques ». Les symptômes des phases dépressives sont les suivants : . A l’inverse, les périodes d’exaltation se caractérisent par une Une personne atteinte de trouble bipolaire alterne généralement entre des phases de manie (ou d’hypomanie, plus légère) — marquées par une humeur anormalement élevée, une grande énergie, une agitation ou une impulsivité (euphorie, une désinhibition, une hyperactivité, un sentiment exagéré de puissance, des dépenses extravagantes…) — et des phases de dépression — caractérisées par une anhédonie, un manque d’énergie et une motivation réduite voire une tristesse profonde, une perte d’intérêt, une fatigue intense, ou encore des idées suicidaires.
Il existe plusieurs types de troubles bipolaires, notamment :
– Trouble bipolaire de type I : présence d’au moins un épisode maniaque, souvent suivi (ou précédé) d’un épisode dépressif.
– Trouble bipolaire de type II : alternance entre des épisodes dépressifs majeurs et des épisodes hypomaniaques.
– Cyclothymie : fluctuations chroniques de l’humeur moins sévères, mais persistantes.
Le diagnostic est souvent complexe : il peut être confondu avec d’autres troubles de l’humeur ou de la personnalité, ce qui peut retarder la prise en charge. Le traitement repose sur plusieurs volets :
– médicaments (stabilisateurs de l’humeur, antipsychotiques, antidépresseurs dans certains cas)
– psychothérapie (TCC, psychoéducation, thérapies interpersonnelles, etc.
– hygiène de vie (sommeil régulier, gestion du stress, abstinence de drogues ou d’alcool)
Avec un suivi adapté, les personnes atteintes peuvent mener une vie stable et épanouissante, même si le trouble reste généralement chronique.
➥ Dysfonctionnement mitochondrial et anomalies bioénergétiques
Certains chercheurs avancent que le trouble bipolaire pourrait être conceptualisé comme un trouble du rythme énergétique cellulaire (et donc mitochondrial), étant un trouble biphasique d’augmentation et de diminution symptomatique de l’énergie et de l’activité. Les épisodes maniaques sont fortement associés à une activité hyperdopaminergique, caractérisée par une synthèse et une transmission élevées de la dopamine dans des régions clés impliquées dans le traitement de la récompense et le contrôle cognitif. En revanche, les épisodes dépressifs ont été liés à des états hypodopaminergiques, marqués par une synthèse, une libération et une activité des récepteurs de dopamine réduites. Des études d’imagerie par résonance magnétique des protons montrent par ailleurs une augmentation du rapport glutamate/glutamine dans le cerveau dans les troubles bipolaires. Cette augmentation du glutamate excitateur crée une forte demande énergétique.
La correction de l’équilibre ionique est le mécanisme d’action universel de tous les médicaments stabilisateurs de l’humeur. De plus en plus de preuves suggèrent l’implication possible d’un dysfonctionnement de la pompe Na(+), K(+)-ATPase magnésium dépendante dans la physiopathologie du trouble bipolaire. De nombreux stabilisateurs de l’humeur (comme le lithium, le valproate ou la carbamazépine) ont effectivement des effets sur les canaux ioniques et les pompes membranaires, qui régulent les flux de : Sodium (Na⁺), potassium (K⁺), calcium (Ca²⁺), magnésium (Mg²⁺). Ces effets participent à la stabilisation de l’excitabilité neuronale, ce qui est central dans la prévention des épisodes maniaques ou dépressifs.
🔬 Ce que montrent les recherches :
– certaines études ont trouvé une activité réduite de la Na⁺/K⁺-ATPase dans les globules rouges ou dans le cerveau de patients bipolaires.
– des modèles animaux où cette pompe est inhibée (par l’ouabaïne, par exemple) montrent des comportements maniaques ou dépressifs, réversibles par le lithium.
– une dérégulation de cette pompe pourrait altérer la neurotransmission, les rythmes circadiens, et l’excitabilité neuronale.
– il existe des liens entre les polymorphismes génétiques des sous-unités de la pompe (ATP1A1, ATP1A3…) et des troubles psychiatriques.
💡 Par exemple :
– le lithium inhibe la signalisation inositol-phosphate et module Na⁺/K⁺-ATPase, canaux sodiques, canaux potassiques et canaux calciques.
– le valproate bloque certains canaux sodiques et canaux calciques voltage-dépendants, et et régulent l’excitabilité membranaire.
🔗 Clin Psychopharmacol Neurosci. 2020 – Lithium Stabilizes the Mood of Bipolar Patients by Depolarizing the Neuronal Membrane Via Quantum Tunneling through the Sodium Channels
🔗 Future Neurol. 2016 – Inositol depletion, GSK3 inhibition and bipolar disorder
🧩 Et magnésium ?
La Na⁺/K⁺-ATPase est magnésium-dépendante, donc un déficit en Mg²⁺ peut compromettre son fonctionnement. Certaines études associent des carences en magnésium à des troubles de l’humeur, y compris le trouble bipolaire.
🔍 Ces déséquilibres ne causent pas à eux seuls le trouble bipolaire, mais ils peuvent y contribuer significativement dans un modèle multi-factoriel (génétique, environnemental, métabolique).
➡️ Hypothèses :
– un excès de sodium pourrait exacerber l’instabilité électrique des neurones, favoriser une hyperexcitabilité et participer à des symptômes maniaques. Le lithium pourrait normaliser les niveaux intracellulaire de sodium.
– un manque de magnésium affaiblit la régulation neuronale, augmente l’excitabilité et favorise des dérèglements de l’humeur.
– une perturbation du calcium pourrait dérégler la transmission synaptique et contribuer aux alternances dépression/manie.
– des altérations des cellules NK (natural killer) de l’immunité innée pourraient aussi démontrer une origine infectieuse des troubles bipolaires.
🔗 World J Biol Psychiatry. 2010 – Effect of dopamine on intracellular sodium: a common pathway for pharmacological mechanism of action in bipolar illness
🔗 Bipolar Disord. 2007 – Lithium normalizes elevated intracellular sodium
Minéral | Déséquilibre suspecté | Effets potentiels dans le trouble bipolaire |
---|---|---|
Sodium | Excès | Hyperexcitabilité neuronale, instabilité membranaire |
Magnésium | Déficit | Dysfonction de la Na⁺/K⁺-ATPase, stress oxydatif, excitation accrue |
Calcium | Déficit ou dérégulation | Anomalies de signalisation neuronale et circadienne |
🧠 Ce que l’on sait aujourd’hui :
Il s’agit d’un trouble neurobiologique, avec des bases génétiques, environnementales et neurochimiques bien établies. Les traitements pharmacologiques (lithium, valproate, antipsychotiques, etc.) sont efficaces, mais pas toujours suffisants, et souvent associés à des effets secondaires ou une mauvaise observance. Les psychothérapies spécifiques (psychoéducation, TCC, thérapie interpersonnelle) améliorent nettement la qualité de vie et la prévention des rechutes. Le rythme de vie, la qualité du sommeil, la gestion du stress et l’hygiène de vie jouent un rôle fondamental dans la stabilité.
Les données de la littérature scientifique indiquent l’utilité de certains nutraceutiques comme traitements d’appoint pour les troubles mentaux. Le lien entre mauvaise santé mentale et carences nutritionnelles est reconnu depuis longtemps par les nutritionnistes travaillant dans le secteur de la santé complémentaire. Certains psychiatres commencent à prendre de plus en plus conscience des avantages de l’utilisation d’approches nutritionnelles pour la santé mentale, appelant leurs pairs à soutenir et à rechercher ce nouveau domaine de traitement.
🧪 Micronutriments et trouble bipolaire
Micronutriment | Effet principal visé | Niveau de preuve | Remarques |
---|---|---|---|
Omega-3 (EPA) | Anti-dépression / stabilisation | Modéré à élevé | Efficace surtout riche en EPA ; utile en prévention |
N-acétylcystéine (NAC) | Réduction du stress oxydatif, soutien de l’humeur | Modéré à élevé | Bien toléré ; plusieurs études positives |
Magnésium | Stabilisation de l’humeur, soutien neurocellulaire | Modéré | Fréquemment déficient chez les bipolaires |
Calcium | Neurotransmission, régulation du rythme cardiaque et neuronal | Faible (peu d’études spécifiques) | Rôle indirect, souvent étudié en lien avec magnésium |
Vitamine D | Régulation de l’humeur, soutien général | Modéré | À vérifier en cas de symptômes dépressifs |
Zinc | Amélioration des symptômes dépressifs | Faible à modéré | Souvent combiné à d’autres minéraux |
Inositol | Soutien de la signalisation neuronale | Faible à modéré | Peut induire une manie à forte dose |
Vitamine B | Rôle principal dans le cerveau | Lien potentiel avec bipolarité | Niveau de preuve | Risques / précautions |
---|---|---|---|---|
B1 (thiamine) | Métabolisme énergétique, conduction nerveuse | Carence rare mais possible en cas de malnutrition ou alcoolisme → fatigue, troubles cognitifs | Faible (peu d’études spécifiques) | Excès rare, attention en insuffisance rénale |
B2 (riboflavine) | Cofacteur enzymatique, production d’énergie mitochondriale | Faible lien direct, mais déficit possible dans troubles métaboliques associés | Très faible | Excès non toxique connu |
B3 (niacine / acide nicotinique) | Précurseur NAD⁺ / NADP⁺, régulation énergétique, neurotransmission | Cas isolés de bénéfice dans bipolarité type II (vitamin dependency), hypothèse mitochondriale | Très faible (données de cas cliniques) | Surdosage → bouffées vasomotrices, hépatotoxicité, troubles glycémiques |
B5 (acide pantothénique) | Synthèse de l’acétyl-CoA, neurotransmetteurs | Pas de données directes, rôle indirect via métabolisme énergétique | Très faible | Excès très rare, diarrhées possibles |
B6 (pyridoxine) | Synthèse sérotonine, dopamine, GABA | Déficit lié à troubles de l’humeur dans certaines études ; données limitées dans bipolarité | Faible | Excès chronique (>100–200 mg/jour) → neuropathie périphérique |
B7 (biotine) | Métabolisme énergétique, régulation génétique | Pas de lien établi | Très faible | Excès rare, peut fausser analyses sanguines |
B9 (folates) | Synthèse ADN, neurotransmetteurs (méthylation) | Déficit associé à symptômes dépressifs et réponse moindre aux antidépresseurs ; intérêt possible en adjuvant | Modéré (surtout en dépression unipolaire) | Excès peut masquer déficit en B12 |
B12 (cobalamine) | Myélinisation, synthèse de neurotransmetteurs | Déficit associé à troubles cognitifs, dépression ; rôle indirect possible dans stabilité de l’humeur | Modéré (observations, pas d’essais randomisés spécifiques) | Excès rarement toxique, attention aux interactions avec certains médicaments |
🌿 Plantes médicinales et trouble bipolaire
Plante | Effet principal visé | Niveau de preuve | Remarques |
---|---|---|---|
Rhodiola rosea | Réduction du stress, amélioration de l’énergie | Faible à modéré | Prudence en cas de tendance maniaque |
Curcuma (curcumine) | Anti-inflammatoire, soutien neurochimique | Faible | Effet modeste ; souvent utilisé en complément |
Ashwagandha (Withania somnifera) | Anxiolytique, adaptogène | Faible à modéré | Effet anxiolytique ; données limitées chez bipolaires |
Millepertuis (Hypericum perforatum) | Antidépresseur naturel | Élevé dans la dépression, mais contre-indiqué dans les troubles bipolaires | Risque élevé d’induire une manie ; interactions nombreuses |
📌 Avertissement :
Dans le trouble bipolaire, tout complément ou plante médicinale peut modifier l’équilibre de l’humeur ou interagir avec un traitement stabilisateur. Toujours valider avec un professionnel de santé avant toute prise.
👉 Les troubles bipolaires en résumé
Les troubles bipolaires sont des pathologies complexes, chroniques et multifactorielles, caractérisées par des alternances d’épisodes maniaques/hypomaniaques et dépressifs, souvent sévères et invalidants s’ils ne sont pas traités. Sa prise en charge reste un défi clinique majeur, tant pour le diagnostic que pour la stabilisation à long terme. Les approches nutritionnelles pour ces conditions débilitantes ne sont pas largement acceptées par la médecine conventionnelle, et les options de traitement ont tendance à se limiter aux directives officielles de l’HAS qui recommandent des thérapies médicamenteuses à base de lithium ou d’antipsychotiques. La psychiatrie nutritionnelle est une discipline en pleine croissance qui se concentre sur l’utilisation d’aliments et de suppléments pour fournir ces nutriments essentiels dans le cadre d’un traitement intégré des troubles de santé mentale. Un manque de nutriments essentiels est de plus en plus reconnu pour contribuer à l’apparition d’un trouble bipolaire, et d’autres maladies mentales.
© Rémy Honoré
🔗 Pour en savoir plus
- Fondation fondamental – les troubles bipolaires
- Fondation fondamental – Vrai ou Faux ? Une dépression peut cacher un trouble bipolaire.
- Vidal – le trouble bipolaire
- Psychomédia. 2018 – La psychiatrie nutritionnelle : traitement de l’avenir en santé mentale (ex. de nutriments)
🔗 Ressources scientifiques
- Res Sq. 2023 – Mitochondrial Health Index Correlates with Plasma Circulating Cell-Free Mitochondrial DNA in Bipolar Disorder
- Front Mol Neurosci. 2020 – Pathological ATPergic Signaling in Major Depression and Bipolar Disorder
- Can J Psychiatry. 2020 – Bipolar disorder vulnerability: The vitamin D path
- Int J Mol Sci. 2018 – Na⁺, K⁺-ATPase Signaling and Bipolar Disorder
- Nutrients. 2018 – Nicotinic Acid Long-Term Effectiveness in a Patient with Bipolar Type II Disorder: A Case of Vitamin Dependency
- Oxid Med Cell Longev. 2017 – The Involvement of Mg2+ in Regulation of Cellular and Mitochondrial Functions
- EBioMedicine. 2017 – Nutritional Psychiatry: Where to Next?
- Clin Nutr Res. 2016 – Nutritional Factors Affecting Mental Health
- Psychiatr Pol. 2015 – The serum concentration of magnesium as a potential state marker in patients with diagnosis of bipolar disorder
- University of Adelaide Press. 2011 – Magnesium in the Central Nervous System
- Nutr J. 2008 – Nutritional therapies for mental disorders
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